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L’entrée de la caverne était très spacieuse mais asymétrique et plus large que haute. La partie droite, plus basse, était en partie surplombée par une saillie qui protégeait de la pluie et des chutes de pierres tombant parfois de la falaise. Du gravier s’était accumulé en un monticule conique sur la saillie à l’extrémité gauche de l’entrée et avait formé un éboulis dans la partie inférieure de la falaise.

Par cette entrée spacieuse, la lumière pénétrait assez profondément dans la caverne. Elle ferait une bonne habitation, pensa Ayla, mais elle n’était manifestement pas utilisée comme telle. En dehors du coin sous la corniche où flambait un petit feu devant un abri, rien ne montrait qu’on avait tenté de rendre l’endroit confortable. À leur approche, une Zelandoni sortit de l’abri et les salua.

— Au nom de la Grande Terre Mère, tu es la bienvenue à son Lieu Sacré le Plus Ancien, Première parmi Ceux Qui La Servent, dit-elle en tendant les deux mains.

— Je te salue, Gardienne de Son Site Sacré le Plus Ancien, répondit la Première. On m’a dit que les peintures y sont d’une grande beauté. J’ai moi-même fait des peintures et je suis honorée d’être invitée à voir ce Site Sacré.

La Gardienne sourit.

— Tu es donc une Zelandoni Peintre, dit-elle. Tu vas sûrement être un peu surprise par ce que tu vas voir dans cette caverne et peut-être apprécieras-tu plus que d’autres tout l’art de ces peintures. Les Anciens qui ont travaillé ici étaient fort habiles.

— Toutes les peintures de cette grotte ont été exécutées par des Anciens ? demanda le Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne.

La requête tacite dans la voix de Jonokol n’échappa pas à la Gardienne. Elle l’avait déjà entendue dans la bouche d’autres artistes en visite. Ils voulaient savoir s’il leur serait permis d’apporter leur contribution à l’ornement de la caverne et elle savait quoi répondre :

— Presque toutes, mais j’en connais quelques-unes plus récentes. Si tu te sens à la hauteur de la tâche, tu es libre d’apposer ta marque. Nous n’empêchons personne de le faire. C’est la Mère qui choisit. Tu sauras si tu as été choisi, répondit la Gardienne.

Bien que beaucoup aient posé la question, rares étaient ceux qui s’étaient sentis dignes d’ajouter au remarquable travail que l’on trouvait à l’intérieur.

Ce fut au tour d’Ayla de se présenter :

— Au nom de la Grande Mère de Tous, je te salue, Gardienne du Site Sacré le Plus Ancien, dit-elle en tendant les mains. Je m’appelle Ayla, Acolyte de la Première parmi Ceux Qui Servent la Grande Terre Mère.

Elle n’est pas encore prête à se défaire de son nom, telle fut la première pensée de la Zelandoni. Elle se rendit compte ensuite que la jeune femme s’était exprimée avec un accent inhabituel et elle sut que c’était la personne dont on lui avait parlé. La plupart des membres de sa Caverne trouvaient que tous les visiteurs parlaient le zelandonii avec un accent qu’ils croyaient être du nord, mais la façon de parler de cette femme était tout à fait différente. Elle s’exprimait bien, connaissait manifestement la langue, mais la façon dont elle formait certains sons différait de tout ce qu’elle avait entendu auparavant. Elle venait sans aucun doute de très loin.

Elle regarda la jeune femme plus attentivement.

Oui, pensa-t-elle, elle est séduisante, mais elle a un air étranger, des traits différents, le visage moins long, les yeux plus écartés. Ses cheveux ne sont pas fins comme ceux de tant de femmes zelandonii et, bien qu’elle soit blonde, leur couleur est particulière, plus foncée, plus proche de celle du miel ou de l’ambre. Étrangère et pourtant acolyte de la Première. Il est assez rare qu’une étrangère fasse partie de la Zelandonia, plus encore qu’elle soit acolyte de la Première. Mais peut-être compréhensible, du fait que c’est elle qui se fait obéir des chevaux et d’un loup. Et c’est elle qui a arrêté les hommes qui ont causé tant d’ennuis pendant tant d’années.

— Tu es la bienvenue au Site Sacré le Plus Ancien, Ayla, Acolyte de la Première, dit la Zelandoni en lui serrant les mains. Je devine que tu as parcouru plus de chemin pour voir ce site que personne ne l’a jamais fait.

— Je suis venue avec les autres… commença Ayla.

Voyant un sourire s’épanouir sur le visage de son interlocutrice, elle comprit. C’était son accent. La Gardienne évoquait la distance qu’elle avait parcourue lors de son Voyage avec Jondalar, et avant cela en venant de son Clan et peut-être même avant encore.

— Il se peut que tu aies raison, mais Jondalar a peut-être voyagé encore plus loin. Il est allé de chez lui au bout de la Grande Rivière Mère tout là-bas à l’est et au-delà, où il m’a rencontrée, puis il est revenu avant d’entreprendre ce Périple de Doniate avec nous.

Jondalar s’approcha à la mention de son nom et sourit en entendant Ayla décrire ses pérégrinations. La Gardienne n’était ni jeune et immature ni vieille, mais assez âgée pour posséder la sagesse apportée par l’expérience et la maturité, à peu près de l’âge des femmes qui lui plaisaient avant de connaître Ayla.

— Salut, respectée Gardienne du Site Sacré le Plus Ancien, dit-il, les mains tendues. Je suis Jondalar, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, Tailleur de Silex de cette Caverne, uni à Ayla de cette même Caverne, qui est Acolyte de la Première. Fils de Marthona, ancienne Femme Qui Commande de la Neuvième Caverne. Né au foyer de Dalanar, Homme Qui Commande et fondateur du peuple des Lanzadonii.

Ainsi énuméra-t-il ses noms et liens familiaux importants. Les membres de la Zelandonia pouvaient simplement énoncer leurs attaches principales, mais il eût été trop désinvolte et peu courtois de se montrer si bref lors de présentations rituelles, surtout à une Zelandoni.

— Tu es le bienvenu, Jondalar, de la Neuvième Caverne des Zelandonii, dit-elle en lui prenant les mains et en le regardant dans les yeux, ces yeux d’un bleu incroyablement vif qui semblaient voir dans son esprit même et émouvaient sa féminité.

Elle ferma les yeux quelques instants pour retrouver son équilibre intérieur.

Pas étonnant que sa compagne ne soit pas encore prête à renoncer à son nom, pensa la Gardienne. Elle est unie à l’homme le plus fascinant que j’aie jamais rencontré. Je me demande si quelqu’un a prévu une Fête de la Mère en l’honneur de ces visiteurs du Nord… Dommage que mon temps de garde ne soit pas encore fini. On peut avoir besoin de moi ici et je ne puis assister aux Fêtes de la Mère.

Willamar, qui attendait de se présenter à la Gardienne, baissa la tête pour dissimuler un sourire. C’est une bonne chose que Jondalar ne remarque pas l’effet qu’il produit encore sur les femmes, pensa-t-il, et qu’Ayla, aussi perspicace soit-elle, ne semble pas s’en apercevoir. La jalousie avait beau être considérée d’un mauvais œil, il savait qu’elle habitait le cœur de beaucoup.

— Je suis Willamar, Maître du Troc de la Neuvième Caverne des Zelandonii, dit-il, son tour venu, uni à Marthona, qui dirigeait auparavant la Neuvième Caverne et mère de ce jeune homme. Bien qu’il ne soit pas né dans mon foyer, il y a été élevé et je le considère donc comme le fils de mon cœur. J’éprouve le même sentiment envers Ayla et sa petite fille, Jonayla.

Elle n’est pas seulement unie, elle a une enfant, une jeune enfant, pensa la Gardienne. Comment peut-elle seulement songer à devenir une Zelandoni, elle qui est déjà acolyte de la plus puissante Zelandoni de la Terre ? La Première doit voir en elle un fort potentiel, mais elle doit être tiraillée dans son for intérieur.

Seuls ces cinq visiteurs allaient pénétrer dans la caverne, cette fois-ci. Les autres en feraient une visite ultérieure et n’en verraient sans doute pas autant. Les Cavernes qui veillaient sur le Site Sacré n’aimaient pas que trop de gens y entrent en même temps. Il y avait des torches et des lampes près du foyer. Les rassembler et les préparer pour qu’elles soient à disposition quand il le fallait faisait partie du travail du Gardien ou de la Gardienne. Chacun en prit une, mais la Gardienne en distribua de supplémentaires, en mit d’autres dans un sac et ajouta quelques lampes en pierre et des petites vessies d’huile. Quand tout le monde eut de quoi s’éclairer, la Gardienne pénétra à l’intérieur.

Une lumière entrait dans la première salle, suffisante pour se faire une idée de l’immensité de la caverne et de son caractère désorganisé. Un ensemble chaotique de formations rocheuses en occupait l’espace. Des stalactites jadis attachées au plafond et les stalagmites correspondantes étaient tombées comme si le sol s’était dérobé sous elles ; certaines renversées, d’autres effondrées, d’autres encore brisées en morceaux. La façon dont elles étaient éparpillées donnait un sentiment d’immédiateté ; pourtant, tout était si figé dans le temps qu’elles étaient recouvertes d’une épaisse couche luisante couleur caramel de gel stalagmitique.

La Gardienne les entraîna vers la gauche en longeant la paroi et se mit à fredonner. Les autres suivirent en file indienne, d’abord la Première, puis Ayla, Jonokol et Willamar, Jondalar en dernier. Il était assez grand pour voir par-dessus les têtes et se considérait comme une sorte d’arrière-garde protectrice, sans avoir cependant la moindre idée de ce dont ils avaient besoin d’être protégés.

Même plus à l’intérieur de la grotte, la lumière qui provenait de l’entrée était suffisante pour que l’obscurité ne soit pas totale. La caverne baignait dans une pénombre profonde à laquelle les yeux finissaient par s’habituer. À mesure qu’ils s’enfonçaient dans les profondeurs de la grotte, la coloration de la roche éclairée au passage par leurs torches et leurs lampes variait, du blanc pur de fins glaçons récents au gris blanchâtre de vieux morceaux de glace grumeleux. Des draperies ondulantes pendaient du plafond, rayées de jaune, orange, rouge et blanc le long des plis. Des lumières cristallines accrochaient l’œil, reflétant et amplifiant la faible clarté, d’autres miroitaient sur le sol recouvert d’une pellicule blanche de calcite. De fantastiques sculptures enflammaient l’imagination et des colonnes blanches colossales luisaient, translucides et mystérieuses. La caverne était d’une beauté absolue.

Dans la lumière incertaine, ils atteignirent un endroit où l’espace semblait s’ouvrir. Les parois de la salle disparaissaient et devant eux, hormis un disque blanc brillant, le vide paraissait se prolonger sans fin. Ayla sentit qu’ils étaient entrés dans une salle encore plus vaste que la première. Alors que d’étranges et magnifiques stalactites pareilles à de longs cheveux blancs pendaient du plafond, le sol était exceptionnellement plat, comme le lac immobile qui l’avait jadis occupé. Mais il était jonché de crânes, d’ossements et de dents et creusé par endroits de légères dépressions dont les ours des cavernes avaient fait leurs lits.

La Gardienne, qui n’avait cessé de fredonner, chanta plus fort, au point qu’Ayla, à son côté, n’aurait jamais pensé qu’une telle puissance sonore fût possible, mais il n’y avait pas d’écho. Le bruit était absorbé par l’immensité de l’espace vide à l’intérieur de la falaise rocheuse. Puis Celle Qui Était la Première entonna le Chant de la Mère de sa voix profonde de contralto :

 

Des ténèbres, du Chaos du temps,

Le tourbillon enfanta la Mère suprême.

Elle s’éveilla à Elle-Même sachant la valeur de la vie,

Et le néant sombre affligea la Grande Terre Mère.

La Mère était seule. La Mère était la seule.

 

De la poussière de Sa naissance, Elle créa l’Autre,

Un pâle ami brillant, un compagnon, un frère.

Ils grandirent ensemble, apprirent à aimer et chérir,

Et quand Elle fut prête, ils décidèrent de s’unir.

Il tournait autour d’Elle constamment, Son pâle amant.

 

Elle fut d’abord heureuse avec Son compagnon…

 

La Première hésita, puis se tut. Il n’y avait pas de résonance, aucun écho. La grotte leur signifiait que ce n’était pas un lieu pour les humains. Cet espace appartenait aux ours des cavernes. Elle se demanda si la salle vide était peinte. La Gardienne devait le savoir.

— Zelandoni qui garde cette caverne, dit-elle cérémonieusement, les Anciens ont-ils peint les parois de la salle qui s’ouvre devant nous ?

— Non. Il ne nous appartient pas de peindre cette salle. Nous pouvons y entrer au printemps, de même que les ours des cavernes pénètrent souvent dans notre partie de cette caverne, mais la Mère leur a alloué cette salle pour leur sommeil hivernal.

— Ce doit être la raison pour laquelle personne n’a décidé d’habiter ici, dit Ayla. En voyant cette grotte, j’ai pensé qu’il y ferait bon vivre et je me suis demandé pourquoi une Caverne ne s’y était pas installée. Maintenant, je le sais.

La Gardienne les conduisit sur la droite. Ils franchirent une petite ouverture qui menait dans une autre salle et, un peu plus loin, arrivèrent à une autre ouverture plus grande. Comme la première salle, celle-ci était encombrée par un chaos de stalagmites et de concrétions tombées au sol. Le sentier contournait ces obstacles et débouchait sur un espace haut et vaste au sol rouge sombre. Un promontoire formé d’un énorme éboulis dominait la salle marquée de plusieurs gros points rouges sur un rocher comme suspendu au plafond. Ils arrivèrent à une grande paroi, un mur presque vertical qui montait jusqu’en haut, couvert lui aussi de gros points rouges et de signes divers.

— Comment croyez-vous que ces points ont été dessinés ? demanda la Gardienne.

— On a dû se servir d’un gros tampon de cuir, de mousse ou de quelque chose de similaire, répondit Jonokol.

— Le Zelandoni de la Dix-Neuvième devrait regarder d’un peu plus près, dit la Première.

Ayla se souvint que celle-ci était déjà venue ici et connaissait sans doute la réponse. Willamar aussi, probablement. Ayla n’essaya pas de deviner, Jondalar non plus. La Gardienne leva la main les doigts tendus en arrière et la posa sur un point. Il avait à peu près la même taille que sa paume.

Jonokol observa plus attentivement les gros points. Ils étaient un peu flous, mais on distinguait vaguement les marques des premières phalanges des doigts tendus qui partaient des points en éventail.

— Tu as raison ! s’exclama-t-il. Ils ont dû préparer une pâte d’ocre rouge très épaisse et tremper leurs paumes dedans. Je ne crois pas avoir jamais vu de points dessinés de cette façon !

Son étonnement fit sourire la Gardienne, qui parut assez contente d’elle. Le fait de l’avoir vue sourire amena Ayla à remarquer que la partie de la caverne où ils se trouvaient semblait mieux éclairée. Elle regarda alentour et se rendit compte qu’ils se trouvaient de nouveau près de l’entrée. Ils auraient pu passer par là en arrivant au lieu de faire le tour par la grande « chambre à coucher » des ours, mais elle était certaine que la Gardienne avait ses raisons pour prendre le chemin qu’ils avaient emprunté. Près des gros points, il y avait une autre peinture qu’Ayla ne put déchiffrer, en dehors d’une ligne droite rouge au-dessus, barrée près du haut par une autre transversale.

Le sentier les mena parmi les blocs de pierre et des concrétions qui encombraient le milieu de la salle, jusqu’à une tête de lion peinte en noir sur la paroi opposée. C’était la seule peinture noire visible. À côté, un signe et des petits points, peut-être faits avec le doigt. Plus loin, une série de taches rouges de la taille de la paume. Elle les compta mentalement en se servant des mots à compter. Il y en avait treize. Au-dessus d’eux, un autre groupe de dix points au plafond. Pour les dessiner, il avait fallu grimper sur une concrétion avec l’aide d’amis ou d’apprentis, supposa-t-elle ; ils devaient donc avoir une importance particulière pour leur auteur, bien qu’elle ne pût en imaginer la raison.

Un peu plus loin s’ouvrait une alcôve. À l’entrée se trouvait un rocher, complètement couvert de gros points rouges. À l’intérieur de l’alcôve, on avait dessiné d’autres points rouges sur une paroi et, sur celle d’en face, un groupe de points, quelques lignes et d’autres marques, ainsi que trois têtes de cheval, dont deux jaunes. Parmi le fouillis de blocs et de stalagmites de l’autre côté, derrière des concrétions basses, la Gardienne montra un autre ensemble assez important de grosses taches rouges.

— N’y a-t-il pas une tête d’animal formée de points rouges au milieu de ces points ? demanda Jonokol.

— Certains le pensent, répondit la Gardienne en le gratifiant d’un sourire pour avoir su reconnaître le motif.

Ayla essaya de distinguer l’animal, ne vit que des points. Elle perçut cependant une nuance.

— Ces points n’ont-ils pas été dessinés par une personne différente ? Ils semblent plus gros.

— Tu as sans doute raison, répondit la Gardienne. Nous pensons que les autres l’ont été par une femme, ceux-ci par un homme. Il y a d’autres peintures, mais pour les voir nous devons retourner par où nous sommes venus.

Elle se remit à fredonner en les conduisant dans une petite salle parmi les concrétions centrales. Un grand dessin représentait la partie antérieure d’un cervidé, probablement un jeune mégacéros. Il avait une petite ramure palmée et une légère bosse sur le garrot. La Gardienne haussa la voix. La salle résonnait de son écho. Jonokol joignit sa voix à la sienne et ses gammes s’harmonisèrent doucement avec ses tons. Ayla se mit à siffler des chants d’oiseaux qui complétèrent la musique. Puis la Première entonna de nouveaux couplets du Chant de la Mère en baissant sa voix puissante de contralto, ajoutant ainsi une note profonde et riche à l’ensemble :

 

De ce seul compagnon Elle se contenta d’abord,

Puis devint agitée et inquiète en Son cœur.

Elle aimait Son pâle ami blond, cher complément d’Elle-Même,

Mais Son amour sans fond demeurait inemployé.

La Mère Elle était, quelque chose Lui manquait.

 

Elle défia le grand vide, le Chaos, les ténèbres,

De trouver l’antre froid de l’étincelle source de vie.

Le tourbillon était effroyable, l’obscurité totale.

Le Chaos glacé chercha Sa chaleur.

La Mère était brave, le danger était grave.

 

Elle tira du Chaos froid la source créatrice

Et conçut dans ce Chaos. Elle s’enfuit avec la force vitale,

Grandit avec la vie qu’Elle portait en Son sein,

Et donna d’Elle-Même avec amour, avec fierté.

La Mère portait Ses fruits, Elle partageait Sa vie.

 

Le vide obscur et la vaste Terre nue

Attendaient la naissance.

La vie but de Son sang, respira par Ses os.

Elle fendit Sa peau et scinda Ses roches.

La Mère donnait. Un autre vivait.

 

Les eaux bouillonnantes de l’enfantement emplirent rivières et mers,

Inondèrent le sol, donnèrent naissance aux arbres.

De chaque précieuse goutte naquirent herbes et feuilles,

Jusqu’à ce qu’un vert luxuriant renouvelle la Terre.

Ses eaux coulaient. Les plantes croissaient.

 

La Première cessa de chanter à un passage qui semblait conclure le chœur impromptu. Ayla s’arrêta aussi au bout d’un long trille mélodieux d’alouette, laissant poursuivre seuls Jonokol et la Gardienne, qui finirent sur une tonalité harmonieuse. Jondalar et Willamar se tapèrent sur les cuisses en connaisseurs.

— C’était merveilleux, dit Jondalar. Tout simplement splendide.

— Oui. Excellent, renchérit Willamar. Je suis sûr que la Mère a aimé autant que nous.

La Gardienne les emmena à travers une petite salle puis jusqu’à un autre renfoncement. De l’entrée on distinguait la tête d’un ours peint en rouge. Lorsqu’ils se baissèrent pour franchir un passage bas, le reste du corps de l’ours leur apparut, puis la tête d’un autre émergea de l’obscurité. Après s’être redressés au bout du passage, ils aperçurent la tête d’un troisième, esquissée sous celle du premier. La forme de la paroi était habilement mise à profit pour ajouter de la profondeur à la représentation du premier et, bien que le deuxième fût entièrement dessiné, c’était un creux à l’endroit de l’arrière-train qui donnait cette impression. C’était presque comme si l’ours était sorti du Monde des Esprits à travers la paroi.

— Ce sont indéniablement des ours des cavernes, dit Ayla. La forme de leur front est caractéristique. Elle est telle depuis qu’ils sont petits.

— Tu as déjà vu des petits ours des cavernes ?

— Oui, parfois. Les gens parmi lesquels j’ai grandi avaient une relation particulière avec les ours des cavernes.

Dans le fond de la niche, ils distinguèrent deux ibex partiellement peints sur la paroi de droite. Des fissures dans la roche dessinaient leurs cornes et leur dos.

Ils franchirent le passage en sens inverse, remontèrent jusqu’à la hauteur du mégacéros, puis suivirent la paroi gauche jusqu’à un grand espace ouvert. Pendant qu’ils parcouraient la salle, Jonokol jeta un coup d’œil dans un renfoncement occupé par une concrétion ancienne dont le haut avait la forme d’une petite cuvette. Il y versa un peu d’eau de son outre. Ils revinrent sur leurs pas par le même chemin et arrivèrent finalement à la grande ouverture qui menait à la salle où dormaient les ours. Non loin de l’entrée de la caverne, sur une grosse colonne rocheuse qui séparait deux salles, face aux autres peintures de celle qui était encombrée de roches chaotiques, un panneau de vingt pieds de long sur dix de haut était couvert de gros points rouges ainsi que d’autres marques et signes, dont une ligne droite barrée près du haut.

La Gardienne les ramena dans la salle aux ours. Elle s’arrêta juste avant une ouverture.

— Il y a beaucoup de choses à voir ici, et je voudrais vous en montrer certaines, dit la Zelandoni en regardant Ayla. Celles-ci, pour commencer.

Elle leva sa torche. Des lignes rouges sur la paroi semblaient disposées au hasard. Ayla remplit soudain les vides mentalement et la tête d’un rhinocéros lui apparut. Elle distingua le front, la naissance des deux cornes, un courte ligne pour l’œil, le bout de son museau avec une ligne pour la bouche et l’esquisse du poitrail. La simplicité du dessin était frappante et pourtant l’animal clairement reconnaissable.

— C’est un rhinocéros ! s’exclama Ayla.

— Oui, et vous en verrez d’autres à l’intérieur de cette salle, dit la Gardienne.

Le sol était en roche dure, de la calcite, et des colonnes blanches et orangées empêchaient d’accéder à la paroi de gauche. Au-delà de ces colonnes il n’y avait presque pas de concrétions, sauf au plafond auquel s’accrochaient d’étranges structures rocheuses arrondies et des dépôts rougeâtres. Des blocs de pierre de toutes tailles étaient tombés du plafond. Un lourd fragment dont la chute avait provoqué un basculement du sol coupait une zone à peu près circulaire. Près de l’entrée, une petite esquisse rouge d’un mammouth ornait une sorte de pendentif rocheux.

Au-delà, dans le haut de la paroi, était représenté un petit ours rouge. Il était évident que l’artiste avait dû escalader la paroi pour le peindre. Dessous, sur un rocher en saillie, deux mammouths utilisaient le relief de la roche et, plus loin, un signe curieux apparaissait sur une autre avancée. Un extraordinaire panneau de peintures rouges, dont une représentant la partie antérieure d’un ours bien dessinée, ornait la paroi opposée. La forme du front et le port de tête permettaient de reconnaître l’ours des cavernes.

— Jonokol, cet ours ne ressemble-t-il pas beaucoup à celui que nous venons de voir ? demanda Ayla.

— Oui, j’imagine qu’il a été peint par la même personne.

— Mais je ne comprends pas le reste de la peinture. On dirait deux animaux réunis, si bien qu’il paraît avoir deux têtes, l’une sortant du poitrail de l’ours, mais il y a aussi un lion au milieu et une autre tête de lion devant l’ours. Je n’y comprends rien.

— Peut-être n’est-ce pas fait pour être compris par qui que ce soit en dehors de celui qui l’a peint, intervint la Première. L’artiste a fait preuve d’une grande imagination et peut-être a-t-il tenté de raconter une histoire maintenant oubliée. Aucune Légende Ancienne ou Histoire que je connais ne l’explique.

— Je crois que nous devons nous contenter d’apprécier la qualité du travail et laisser les Anciens conserver leurs secrets, dit la Gardienne.

Ayla acquiesça ; elle avait vu suffisamment de cavernes pour savoir que l’important n’était pas tant ce qui était représenté que le caractère accompli de l’œuvre.

Plus loin dans la galerie, au-delà de la deuxième tête de lion et d’une faille dans la paroi, se trouvait un panneau peint en noir : une tête de lion, un grand mammouth et enfin une silhouette peinte haut au-dessus du sol, celle d’un gros ours rouge, le contour du dos en noir. Comment l’artiste avait réussi à le peindre, voilà qui était mystérieux. Il était aisément visible d’en bas, mais celui qui avait effectué le travail avait dû grimper sur plusieurs hautes concrétions pour arriver là-haut.

— Avez-vous remarqué que tous les animaux sortent de la salle, sauf le mammouth ? dit Jonokol. C’est comme s’ils entraient dans un monde en venant de celui des Esprits.

La Gardienne se tenait juste à l’extérieur de la salle et elle se remit à fredonner, une mélodie similaire à celle du Chant de la Mère, tel que la Première l’avait interprété. Chaque Caverne de Zelandonii chantait ou récitait le Chant de la Mère. Il retraçait les commencements, l’origine du peuple, et si toutes les versions étaient similaires et racontaient la même histoire, celle de chaque Caverne différait toujours un peu des autres, et même d’un interprète à l’autre.

Comme à un signal, la Première entonna le couplet suivant du Chant, là où elle s’était arrêtée. Jonokol et Ayla s’abstinrent de joindre leurs voix à la sienne et se contentèrent de prendre plaisir à l’écouter :

 

Dans la douleur du travail, crachant du feu,

Elle donna naissance à une nouvelle vie.

Son sang séché devint la terre d’ocre rouge.

Mais l’enfant radieux justifiait toute cette souffrance.

Un bonheur si grand, un garçon resplendissant.

 

Les roches se soulevèrent, crachant des flammes de leurs crêtes.

La Mère nourrit Son fils de Ses seins montagneux.

Il tétait si fort, les étincelles volaient si haut,

Que le lait chaud traça un chemin dans le ciel.

La Mère allaitait, Son fils grandissait.

 

Il riait et jouait, devenait grand et brillant.

Il éclairait les ténèbres, à la joie de la Mère.

Elle dispensa Son amour, le fils crût en force,

Mûrit bientôt et ne fut plus enfant.

Son fils grandissait, il Lui échappait.

 

Elle puisa à la source pour la vie qu’Elle avait engendrée.

Le vide froid attirait maintenant Son fils.

La Mère donnait l’amour, mais le jeune avait d’autres désirs.

Connaître, voyager, explorer.

Le Chaos La faisait souffrir, le fils brûlait de partir.

 

Il s’enfuit de Son flanc pendant que la Mère dormait

Et que le Chaos sortait en rampant du vide tourbillonnant.

Par ses tentations aguichantes l’obscurité le séduisit.

Trompé par le tourbillon, l’enfant tomba captif.

Le noir l’enveloppa, le jeune fils plein d’éclat.

 

L’enfant rayonnant de la Mère, d’abord ivre de joie,

Fut bientôt englouti par le vide sinistre et glacé.

Le rejeton imprudent, consumé de remords,

Ne pouvait se libérer de la force mystérieuse.

Le Chaos refusait de lâcher le fils coupable de témérité.

 

Mais au moment où les ténèbres l’aspiraient dans le froid

La Mère se réveilla et se ressaisit.

Pour L’aider à retrouver Son fils resplendissant,

La Mère fit appel à Son pâle ami.

Elle tenait bon, Elle ne perdait pas de vue Son rejeton.

 

Le son résonnait, le chant leur revenait en écho, pas aussi fort qu’en d’autres endroits, pensa la Première, mais avec d’intéressantes nuances, presque comme s’il se dédoublait. Parvenue à un passage qu’elle jugea approprié, elle s’arrêta de chanter. Le groupe poursuivit son chemin en silence.

Sur le côté droit de la caverne, ils arrivèrent à une importante accumulation de pierre stalagmitique et de rochers éboulés. Cette fois-ci, la Gardienne les emmena vers le côté gauche de la grotte, au fond de la Chambre des Ours. Au-delà des stalagmites et des blocs de pierre, un grand rocher en forme de lame pendait du plafond. Il marquait l’entrée d’une nouvelle salle dont la hauteur de plafond, importante au début, allait en s’amenuisant vers l’arrière. Une multitude de concrétions pendaient du plafond et des parois, contrairement à la Chambre des Ours, où il n’y en avait pas.

En arrivant au rocher suspendu en forme de lame, la Gardienne tapa sa torche sur une arête rocheuse pour qu’elle brûle et éclaire mieux, puis elle la leva afin que tous puissent voir la surface du panneau. Vers le bas, tourné vers la gauche, un léopard tacheté était peint en rouge. Ayla, Jondalar et Jonokol n’avaient encore jamais vu de léopard peint sur les parois d’un site sacré. Sa longue queue donnait à penser à Ayla que c’était probablement un léopard des neiges. À l’extrémité de la queue on voyait une épaisse coulée de calcite et à l’autre bout un gros point rouge. Personne ne s’expliquait la présence de ce point à cet endroit ni ce que signifiait ce léopard, mais c’en était un, à n’en pas douter.

On ne pouvait pas en dire autant de l’animal peint au-dessus, tourné vers la droite. On pouvait aisément confondre les épaules massives et la forme de la tête avec celles d’un ours, mais Ayla était certaine qu’il s’agissait d’une hyène à cause du corps fin, des longues pattes et des taches dans la partie supérieure du corps. Elle connaissait les hyènes et savait qu’elles avaient des épaules massives. La forme de la tête de l’animal peint ressemblait cependant à celle d’un ours des cavernes. Les dents solides et les puissants muscles de la mâchoire d’une hyène, capables de broyer des os de mammouth, avaient également développé une structure osseuse volumineuse, mais son museau était plus long. Le pelage de l’animal paraissait raide et rêche, surtout autour de la tête et des épaules.

— Vous voyez l’autre ours, plus haut ? demanda la Gardienne.

Ayla aperçut soudain une autre silhouette au-dessus de la hyène. Elle distingua la forme caractéristique d’un ours des cavernes tourné vers la gauche, dans la direction opposée à la hyène, dessinée en lignes rouges à peine visibles. Elle les compara.

— Je ne crois pas que l’animal tacheté soit un ours, mais une hyène, dit-elle.

— Certains le pensent, mais sa tête ressemble beaucoup à celle d’un ours, fit remarquer la Gardienne.

— Les têtes des deux animaux sont similaires, reprit Ayla, mais la hyène représentée a le museau plus long et pas d’oreilles. La touffe de poils raides sur le dessus de la tête est typique de la hyène.

La Gardienne ne contesta pas. Chacun avait le droit de penser ce qu’il voulait, mais l’acolyte avait fait d’intéressantes observations. La Zelandoni montra ensuite un autre félin caché sur le dessous étroit de la pierre suspendue et lui demanda de quel animal il s’agissait, selon elle. Ayla ne savait pas trop ; son pelage était dépourvu de taches et sa forme allongée pour entrer dans le peu d’espace disponible, la silhouette était très féline ou, à bien y réfléchir, pareille à celle d’une belette. Il existait d’autres animaux, qu’on lui avait dit être des ibex, mais elle n’en avait pas une idée aussi claire. On les conduisit ensuite de l’autre côté de la salle. Au début, ils virent beaucoup de concrétions, mais pas de peintures.

En continuant le long du passage, ils arrivèrent à un long panneau. Une formation calcaire avait orné la paroi de draperies et de filets rouges, orange et jaunes qui n’atteignaient pas tout à fait les épais monticules coniques situés dessous. Des concrétions pareilles à des ruisselets figés dans le temps semblaient couler des draperies, et sur les espaces intercalaires d’étranges signes avaient été peints.

Des lignes partaient de côté, en une sorte de long rectangle. Il rappela à Ayla une de ces créatures rampantes aux nombreuses pattes, peut-être une chenille. Sur l’espace libre suivant, des ailes étaient attachées de chaque côté d’une silhouette centrale. Cela pouvait être un papillon, l’étape suivante dans la vie de la chenille, mais ce n’était pas aussi bien exécuté que beaucoup d’autres peintures et un doute demeurait. Elle songea à poser la question à la Gardienne, mais elle pressentait qu’elle ne saurait pas.

À mesure qu’ils continuaient, la paroi était décorée de manière de moins en moins extravagante. La Gardienne se remit à fredonner jusqu’au moment où ils arrivèrent à un endroit surplombé par la roche. Des grappes de points y avaient été tracées, suivies par une frise de cinq rhinocéros. Il y avait bien d’autres signes et représentations d’animaux. Sept têtes et un animal entier, genre félin, peut-être des lions, ainsi qu’un cheval, un mammouth, un rhinocéros. Plusieurs empreintes de main et des points formaient des lignes et des cercles. Puis venaient encore des signes et l’esquisse d’un rhinocéros en noir.

Ils parvinrent ensuite à une autre lame de roche formant une cloison sur laquelle on voyait d’autres signes, le contour partiel d’un mammouth en noir ; une empreinte rouge de main en négatif avait été laissée à l’intérieur du corps de l’animal et une autre sur le flanc d’un cheval. Sur leur droite, deux grands amas de points. Sur leur gauche, un petit ours dessiné en rouge. Il y avait aussi un cerf rouge et quelques autres marques, l’ours étant cependant la figure principale. Il était représenté à peu près de la même façon que les autres ours rouges qu’ils avaient vus, mais en miniature. Le panneau en question marquait l’entrée d’une petite salle, dans laquelle il n’y avait guère la place de se tenir debout.

— Inutile d’entrer là, dit la Gardienne. C’est une toute petite salle et il n’y a pas grand-chose à voir. En plus, à l’intérieur, il faut se baisser ou s’accroupir.

Elle obliqua sur la gauche et suivit la paroi. La salle suivante était d’environ deux mètres plus basse que celle où ils se trouvaient, le sol incliné, le plafond haut par endroits, de nombreuses concrétions recouvraient les parois et le plafond. Certains signes – des empreintes de pattes, des marques de griffes et des os – attestaient que des ours des cavernes étaient venus là. Ayla crut entrevoir un dessin au loin, mais la Gardienne poursuivit son chemin sans se donner la peine de l’indiquer. Ils étaient apparemment dans l’antichambre d’une autre salle.

Celle-ci était basse. Au milieu s’ouvrait une dépression d’une dizaine de mètres de circonférence et de plus de trois mètres cinquante de profondeur. Ils la contournèrent par la droite sur un sol de terre brune.

— Quand le sol s’est-il affaissé ? s’enquit Jondalar.

Le sol sous leurs pieds paraissait assez solide, mais il se demandait si un nouvel affaissement ne risquait pas de se produire.

— Je l’ignore, répondit la Gardienne, mais les Anciens sont venus ici après.

— Comment le sais-tu ?

— Regarde là-haut, dit-elle en montrant une lame de roche lisse suspendue au plafond au-dessus de la dépression.

Tout le monde regarda. Du fait que la plupart des parois de cette salle et des rochers tombés du plafond étaient recouverts d’une couche de matériau tendre marron clair pareil à de l’argile, de la vermiculite – une altération chimique des constituants minéraux de la pierre en avait ramolli la surface –, les dessins étaient blancs. Ces dessins, des sortes de gravure, pouvaient être exécutés avec un bâton ou même le doigt en enlevant la couche d’argile superficielle, faisant ainsi apparaître une ligne d’un blanc pur.

Ayla remarqua qu’il y avait un grand nombre de dessins blancs dans cette salle. Sur la roche en surplomb, elle crut apercevoir un cheval et une chouette, la tête tournée à cent quatre-vingts degrés, de sorte qu’on voyait son visage au-dessus de son dos. On savait que les chouettes faisaient cela, mais elle n’en avait jamais vu de représentation graphique, elle n’avait jamais vu aucun dessin de chouette dans une caverne.

— Tu as raison. Cela a dû être dessiné par les Anciens, car personne ne peut atteindre ce rocher maintenant, dit Jondalar.

La Gardienne lui sourit, charmée par son ton incrédule. Elle montra d’autres dessins gravés avec le doigt, puis elle les conduisit de l’autre côté de la dépression circulaire jusqu’à la paroi gauche. Bien que l’espace fût encombré de stalactites, de stalagmites et de formations pyramidales coniques, il n’était pas difficile de se déplacer à travers la salle et la plupart des décorations se trouvaient à la hauteur des yeux. Même à une certaine distance, la lumière de leurs torches éclairait de nombreuses gravures blanches, certaines grattées pour obtenir une surface blanche. Du milieu de la salle, ils distinguaient des mammouths, des rhinocéros, des ours, des aurochs, des bisons, des chevaux, une série de lignes incurvées et de marques de doigts sinueuses tracées sur des griffures d’ours.

— Combien d’animaux sont représentés dans cette salle ? demanda Ayla.

— J’en ai compté presque deux fois vingt-cinq, répondit la Gardienne en levant la main gauche, tous les doigts pliés, avant de l’ouvrir et de replier de nouveau les doigts.

Ayla se remémora l’autre façon de compter avec les doigts. Compter de cette manière pouvait être plus complexe que de recourir aux mots à compter, si l’on comprenait comment procéder. La main droite comptait les mots et, à chaque mot prononcé, on repliait un doigt ; la main gauche indiquait le nombre de fois où l’on était arrivé à cinq. La même main gauche, paume ouverte, tous les doigts repliés, ne signifiait pas cinq, comme elle l’avait appris en commençant à compter et comme Jondalar le lui avait montré en lui apprenant les mots à compter, mais vingt-cinq. Elle s’était familiarisée avec cette façon de compter au cours de sa formation et le concept l’avait étonnée. Employés de cette façon, les mots à compter étaient bien plus efficaces.

Il lui vint à l’esprit que les gros points pouvaient aussi être un moyen d’utiliser les mots à compter. Une empreinte de main représenterait cinq, une grosse marque faite avec la paume seule vingt-cinq ; deux signifieraient deux fois vingt-cinq, cinquante. Tant de marques sur une paroi indiquaient peut-être un nombre très important – encore fallait-il savoir le lire. Mais, comme tout ce qui concernait les Zelandonia ou presque, c’était sans doute plus complexe que cela. Chaque signe possédait plus d’un sens.

Tandis qu’ils faisaient le tour de la salle, Ayla vit un cheval magnifiquement exécuté et, derrière lui, deux mammouths, l’un en surimpression sur l’autre, la ligne de leur ventre arquée, ce qui la fit songer à l’arche massive à l’extérieur. Était-elle censée représenter un mammouth ? La plupart des animaux peints dans la salle semblaient être des mammouths, mais il y avait aussi beaucoup de rhinocéros. L’un en particulier attira son attention. Seule la moitié antérieure était gravée et elle paraissait émerger d’une fissure de la paroi, sortir du monde situé derrière la paroi. Il y avait aussi quelques chevaux, aurochs et bisons, mais pas de félins ni de cervidés. Et alors que la plupart des représentations animalières de la première partie de la caverne étaient en rouge – l’ocre rouge du sol et des parois –, dans cette partie-ci elles étaient blanches, exécutées avec les doigts ou un objet dur, à l’exception de quelques-unes en noir sur la paroi droite dans le fond, dont un superbe ours.

Elles avaient l’air intéressantes et elle avait envie d’aller les voir de près, mais la Gardienne les emmena autour du cratère central vers une autre partie de la grotte. La paroi gauche était cachée par un amoncellement de gros blocs de pierre qu’Ayla distinguait à peine à la lumière des torches, ce qui lui rappela de taper la sienne sur la roche pour éliminer l’excès de cendre. La flamme jaillit de plus belle et elle se rendit compte qu’elle allait bientôt devoir allumer une autre torche.

La Gardienne se remit à fredonner à l’approche d’un autre espace bien moins haut de plafond. Celui-ci était si bas que quelqu’un y avait dessiné un mammouth avec le doigt en montant sur un rocher. Sur la droite, on distinguait une tête de bison, rapidement exécutée, puis trois mammouths et plusieurs autres dessins sur des roches pendant du plafond : deux grands rennes en noir, ombrés pour souligner leur contour, et un troisième, moins détaillé. Sur une autre partie de cette roche suspendue, deux gros mammouths noirs se faisaient face, mais seule la partie antérieure de celui de gauche était figurée. Celui de droite était colorié en noir et il avait des défenses – les seules qu’Ayla ait vues sur les mammouths peints dans cette caverne. D’autres dessins ornaient des roches suspendues plus loin vers le fond, à bonne distance du sol : un autre mammouth gravé de profil, un grand lion et un bœuf musqué, reconnaissable à ses cornes recourbées vers le bas.

Ayla était si concentrée sur les animaux peints qu’elle n’entendit la Gardienne et le Zelandoni de la Dix-Neuvième Caverne chanter que lorsque la Première joignit sa voix aux leurs. Juste capable d’imiter des chants d’oiseaux et des cris de bêtes et ne sachant pas chanter, elle se contenta cette fois-ci de les écouter :

 

À son retour, elle accueillit Son amant d’antan

Le cœur en peine et son histoire lui conta.

L’ami cher accepta de se joindre au combat,

Pour arracher Son enfant à son sort périlleux.

Elle lui parla de Son chagrin et du voleur tournoyant.

 

La Mère était épuisée, Elle devait se reposer,

Elle relâcha Son étreinte sur Son lumineux amant

Qui, pendant Son sommeil, la froide puissance affronta

Et pendant un temps vers sa source la refoula.

Son esprit était fort, mais trop long le combat.

 

Son pâle ami lumineux de toutes ses forces lutta,

Le conflit était âpre, acharné le combat.

Sa vigilance déclina, son grand œil il ferma,

Le noir l’enveloppa, sa lumière lui vola.

Du pâle ami exténué, la lumière expira.

 

Quand les ténèbres furent totales, avec un cri Elle s’éveilla.

Le vide obscur la lumière du ciel cachait.

Elle se jeta dans la mêlée, fit tant et si bien

Qu’à l’obscurité Son ami elle arracha.

Mais de la nuit le visage terrible gardait Son fils invisible.

 

Prisonnier du tourbillon, le fils ardent de la Mère

Ne réchauffait plus la Terre, le froid chaos avait gagné.

La vie fertile et verdoyante n’était que glace et neige,

Et un vent mordant soufflait sans trêve.

Aucune plante ne poussait plus, la Terre était abandonnée.

 

Bien que lasse et épuisée de chagrin, la Mère tenta encore

De reprendre la vie qu’Elle avait enfantée.

Elle ne pouvait renoncer, Elle devait lutter

Pour que renaisse la lumière glorieuse de Son fils.

Elle poursuivit sa quête guerrière pour ramener la lumière…

 

Quelque chose attira soudain l’œil d’Ayla et elle fut parcourue d’un frisson, pas exactement de peur, plutôt une sensation de déjà-vu. Un crâne d’ours des cavernes était posé sur la surface plate d’un rocher. Elle ne savait trop comment le rocher était arrivé là, au milieu de la salle. D’autres plus petits se trouvaient à proximité et elle supposa qu’ils étaient tombés du plafond, mais aucun d’eux n’avait un dessus aplani. Elle savait cependant comment le crâne était arrivé sur le rocher plat : quelqu’un l’y avait mis !

En se dirigeant vers le rocher, elle se souvint brusquement du crâne d’ours que Creb avait trouvé, un os enfoncé dans l’ouverture formée par l’orbite et la pommette. Ce crâne revêtait une grande importance pour le Mog-ur du Clan de l’Ours des Cavernes et elle se demanda si des membres du Clan étaient venus dans cette grotte. S’ils l’avaient fait, cette caverne avait dû posséder une grande signification. Les Anciens qui avaient peint les animaux de cette grotte étaient certainement des gens comme elle ; les membres du Clan ne peignaient pas, mais ils avaient pu déposer là un crâne. Et le Clan se trouvait là en même temps que les peintres anciens. Étaient-ils entrés dans cette caverne ?

En s’approchant, le regard fixé sur le crâne d’ours perché sur la pierre plate, avec deux énormes canines dépassant du bord, elle était intimement persuadée que l’Ancien qui l’avait placé là appartenait au Clan. Jondalar l’avait vue frissonner et il se dirigea vers le milieu de la salle où le crâne était posé sur le rocher et il comprit sa réaction.

— Ça va, Ayla ? demanda-t-il.

— Cette caverne devait compter beaucoup pour le Clan, dit-elle. Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils en connaissaient l’existence. Peut-être s’en souviennent-ils encore.

Les autres s’étaient maintenant regroupés autour du rocher plat.

— Je vois que tu as trouvé le crâne. J’allais vous le montrer, dit la Gardienne.

— Des membres du Clan sont venus ici ? s’enquit Ayla.

— Des membres du Clan ? répéta la Gardienne en secouant la tête.

— Ceux que vous appelez les Têtes Plates.

— C’est curieux que tu poses la question. Nous voyons effectivement des Têtes Plates par ici, mais seulement à certaines périodes de l’année. Ils font peur aux enfants ; nous sommes cependant parvenus à une sorte de compréhension mutuelle, si tant est que ce soit possible avec des animaux. Ils gardent leurs distances et nous les laissons tranquilles dans la mesure où ils veulent seulement entrer dans la caverne.

— Je dois d’abord te dire que ce ne sont pas des animaux mais des humains. L’Ours des Cavernes est leur principal totem, ils disent être du Clan de l’Ours des Cavernes, fit remarquer Ayla.

— Comment peuvent-ils dire quoi que ce soit, ils ne parlent pas, répliqua la Gardienne.

— Si, ils parlent, mais pas comme nous. Ils emploient certains mots, mais parlent surtout avec les mains.

— Comment fait-on pour parler avec les mains ?

— Ils font des gestes avec leurs mains et leur corps.

— Je ne comprends pas, avoua la Gardienne.

— Je vais te montrer, dit Ayla en tendant sa torche à Jondalar. La prochaine fois que tu verras quelqu’un du Clan qui souhaite entrer dans la caverne, tu pourras lui dire ceci : « Je te salue et je tiens à te dire que tu es le bienvenu dans cette grotte, demeure des ours des cavernes. »

Elle accompagna ces mots des gestes appropriés.

— Ces gestes des mains signifient ce que tu viens de dire ? demanda la Gardienne.

— J’ai montré à la Neuvième Caverne, à notre Zelandoni et à tous ceux qui voulaient l’apprendre comment faire les quelques signes essentiels afin que, s’ils rencontrent des gens du Clan au cours de leurs déplacements, ils puissent communiquer au moins un peu. Je me ferai un plaisir de te montrer aussi quelques-uns de ces signes, mais mieux vaut sans doute attendre d’être sortis d’ici, il fera plus clair.

— J’aimerais en voir davantage, mais comment se fait-il que tu saches tout cela ?

— J’ai vécu parmi eux. Ils m’ont élevée. Ma mère et les siens, mon peuple, je suppose, sont morts durant un tremblement de terre. Je me suis retrouvée livrée à moi-même. J’ai erré seule jusqu’à ce qu’un membre du Clan me trouve et me ramène avec lui. Ils se sont occupés de moi, m’ont aimée et je leur ai rendu leur amour, expliqua Ayla.

— Tu ne sais pas qui est ton peuple ? s’étonna la Gardienne.

— Les Zelandonii sont mon peuple, maintenant. Avant, c’étaient les Mamutoï, les chasseurs de mammouths, et, avant encore, le Clan, mais je ne me souviens pas de celui dans lequel je suis née.

— Je vois. J’aimerais en savoir plus, mais nous n’avons pas encore fini la visite de cette caverne.

— Tu as raison, dit la Première. Continuons.

Pendant qu’Ayla pensait au crâne d’ours posé sur la pierre, la Gardienne avait montré à ses compagnons d’autres parties de la salle dans laquelle ils se trouvaient. Dans la suite de la visite, Ayla remarqua divers motifs, un grand panneau gratté représentant des mammouths, quelques chevaux, des aurochs et des ibex.

— Je dois t’avertir, Zelandoni Qui Est la Première, que la dernière salle est d’accès assez difficile. Il faut grimper de hautes marches et se baisser pour franchir un passage au plafond bas. Et il n’y a pas grand-chose à voir en dehors de quelques signes, un cheval jaune et quelques mammouths. Penses-y avant de continuer.

— Oui, répondit la Première. Inutile que je revoie la salle cette fois-ci. Je vais laisser aller les plus énergiques.

— Je vais attendre avec toi, dit Willamar. Je l’ai vue, moi aussi.

Lorsque le groupe fut à nouveau au complet, ils longèrent la paroi, maintenant sur leur gauche, sur laquelle avaient été grattées des silhouettes de mammouths et arrivèrent aux peintures noires qu’ils avaient aperçues de loin. À l’approche de la première, la Gardienne se remit à fredonner et les autres sentirent que la caverne répondait.

Le Pays Des Grottes Sacrées
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